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l’éponge la plus compétente finit un jour par ne plus absorber, elle arrive à la saturation qu’elle n’envisageait pas pour elle-même. des années, j’ai absorbé des années durant, des langues, en suçant simplement les cultures des pays où le hasard pécuniaire m’a successivement déposée. pour l’heure au japon, je dégorge lentement dans des lettres qui coulent je ne sais trop comment jusqu’aux oreilles de mes parents,amis,frères. sans doute ceux-ci ont-ils le pouvoir d’appuyer un peu sur moi, eponge d’habitude peu pressée de rendre ce qu’elle prend. a toi de voir si dans mes déboires, quelque chose peut t’être utile. baleines qui luttent, baleines qui meurent 24 novembre 2011 pour imposer au japon le spectacle de corps qui s’affrontent sans retenue, il était besoin d’un sport qui rendît la nudité imposante, délibérément imposante. au pays des bains de masse dans des cuves naturelles que chauffent les volcans, des corps de chocs étaient nécessaires pour surprendre la pudeur enfouie sous la nudité de surface. quoique parfaitement saine et tendue, la peau de simples corps d’athlètes ne convenait pas. il fallait en outre que la rencontre de ces corps spécialement pensés pour un combat au sommet de l’explosivité fût d’autant plus brève qu’elle serait indiscutable. on comprit très vite qu’emballer, malgré leur nudité presque complète, les corps formés à dessein pour cet exercice, de telle sorte qu’ils apparaissent, au dernier moment, et pour ce bref moment seulement, dans leur plus profonde nudité, dans leur nudité seconde et peut-être dernière, produirait cet effet mieux qu’aucun voyant effeuillage vestimentaire. un rituel fut conçu à cet effet, moins compliqué, moins sophistiqué que lent et long, moins difficile à observer pour les corps qui se sont engagés à s’entrechoquer qu’il ne devient pesant pour le public à force de se répéter, une fois, deux fois, autant de fois que l’autorise le temps réglementaire, soit 4 minutes. imaginez une partie de ping-pong qui consisterait en un seul échange. la balle, très cérémonieusement, serait mise en jeu par un arbitre, dont se serait pour ainsi dire la seule fonction, après quatre minutes d’observation silencieuse, entrecoupées par l’un et l’autre adversaire de feintes mises en jeu, avec force jeu de jambes, et retour à la serviette éponge tendue par l’entraîneur, au bord du périmètre réservé. quatre minutes de petite balle blanche tenue par deux doigts entre deux corps renversants penchant de plus en plus l’un vers l’autre. je dis quatre un peu à la légère, car le public n’a pas toujours eu un seuil de concentration si mesuré : cela pouvait durer jusqu’à dix minutes avant que la tv, loin de se limiter à ses fameux ralentis proches de l’arrêt sur image, n’impose ses vues et n’accélère considérablement le mouvement, obligeant soudain les corps des lutteurs à un dynamisme étonnant ; cela pouvait en théorie durer indéfiniment avant 1928. ah ils ont dû en voir plier des tables dans d’affreux craquements psychologiques, veinards qui assistèrent à ce spectacle plus entier vers 1900. il ne fallut pas non plus des siècles pour décider qu’elle aurait lieu, cette rencontre enrobée dans son rituel aujourd’hui amputé d’une partie de ses effets dilatoires, sur un cercle au diamètre étroit, une sorte de tertre quelque peu surélevé et sans tous ces angles morts que le carré, figure vulgaire, offre comme des refuges contre les coups trop nourris d’un autre corps. de la chair dans les cordes d’un ring de boxe, cet emballage manquait singulièrement d’apprêts pour un esprit habitué aux choses rondement menées. pas de cordes donc, mais un liséré constitué par la paille de sacs de riz enfouis presque entièrement dans l’argile d’un cercle de 18 pieds de diamètre. rien par conséquent pour arrêter des corps pris dans un élan massif, si ce n’est le rituel, qui prescrit que les champions opposés sportivement dans des corps redondants s’élanceront tels deux taureaux, tête baissée, au moment où tous deux toucheront des poings (d’un poing) la ligne derrière laquelle chacun est ramassé. entre ces deux lignes (shikirisen), quoi, un mètre cinquante? deux mètres? combien mesure une table de ping-pong avant que deux brutes aux mains larges comme des palettes la replient violemment? très loin de l’épicentre des combats s’enchaînant sans répit —le lutteur pour entrer dans le cercle doit assister au combat précédant le sien, si bien que la lenteur que j’évoquais à l’instant a pour contrepoids un rythme endiablé—, trop loin peut-être pour en sentir la force, je suis surpris, tantôt assis sur mon petit siège en plastique rouge, serré entre les deux chinoises qui m’accompagnent (si ce n’était pour elles, que j’aimerais sentir de plus près la vigueur des assauts qui se succèdent comme des vagues, allongé mollement sur un de ces demi-tatamis mauves hors de prix, en contrebas), tantôt debout contre le rail de sécurité d’où je suis mieux pour voir entrer les lutteurs dans leurs énormes strings, je suis étonné chaque fois par le manque de ridicule de ce sport, dont on m’avait dit beaucoup de mal. ne me l’avait-on pas comparé notamment à la chasse à la baleine, deuxième sport national? sans doute les japonais sont-ils des brutes quand ils s’adonnent bêtement à celui-ci, non pour le contact brutal du baleinier et de son adversaire, ce qui les aurait en partie sauvés du naufrage sentimental qu’ils nous font vivre quand meurt une baleine, sur un autel qui serait le cercle polaire, mais, hélas! pour une viande qui n’est pas tendre et qui, pour tout dire, est bien en-dessous de la viande de cheval, avec laquelle je la compare. aux antipodes de cette chasse pour mauvais goût, le sumo est un sport de tendres brutes. un ballet qui dégénère en générant des flux de grâce, entre des ballots de riz ventrus attachés à leur lopin de terre . pas besoin d’être du petit cercle comme dirait proust pour éprouver la valeur de ce spectacle terre-air, même si, condition suffisante mais sans doute nécessaire, il faudrait être un peu moins loin des glorieux culs qui pointent soudain vers le ciel du sumodrome comme de plantureux ailerons pour en oublier les baleines. posté dans non classé | aucun commentaire » triangulation japonaise 19 novembre 2011 f., jeudi 17 novembre j’ai une petite chambre mariée à un petit travail au dehors. le travail, quelques heures (moins d’heures que ma chambre ne compte de mètres de long) qu’il s’agit de passer, tantôt dans une pièce à peine plus grande mais rayonnée de vieux livres tombant en poussière (à l’exception, notable, d’une trentaine de volumes de la pléïade, lesquels se portent comme des fleurs et risquent bien de tomber à leur tour, mais dans un sac à dos, poussés un par un par les doigts qui auront manqué aux éditions banales et aux pauvres in-quarto parfois pas même coupés), tantôt dans une autre pièce, trois fois trop grande celle-ci, éclatante de propreté et remplie par les silences de jeunes intralocutrices japonaises tellement fardées qu’elles font curieusement penser aux délicieuses couvertures des ouvrages qui, à mesure qu’ils vont disparaissant de la première pièce, apportent de nouvelles couleurs dans ma petite chambre: le vert bouteille du premier tome des oeuvres de rousseau! le brun bordeau du tome iii de à la recherche du temps perdu ! et le hachurage doré enluminant discrètement la peau du dos des précieux livres… tendre évocation des paillettes scintillant sur les paupières de ces visages de couvertures de mode. viendraient-elles illustrer un peu ma chambre, ces bouches fermées sur leurs désirs inassouvis de français facile, faire un peu de tapisserie cosmétique au coin du feu que je couve à force de confondre le fond et la forme des trois lieux que m’a attribués le japon (trois îles), je ne leur en voudrais pas de m’accuser d’être un peu voleur, à la vue de ces trésors ouverts au hasard sur mon petit lit défait, peut-être taché d’encre. le travail justifie la possession réelle, quoique provisoire, de la chambre et, accessoireme